Je réagis ici au dernier article de Kroben sur la stratégie de Samsung en matière d'objets connectés.
Globalement, je suis d'accord avec ce qui y est dit, dans le sens où je m'inquiète également des questions que posent cette sur-connexion à venir de notre quotidien. Mais ce que je trouve malheureux dans cette article, c'est son aspect exclusivement alarmiste.
Mettre en évidence un problème, c'est bien. Ça permet de sensibiliser les gens, et c'est une première étape nécessaire. Mais c'est loin d'être la seule : il y a beaucoup de questions que l'on peut se poser.
On a répondu à « Que ce passe-t-il ? » et « De quel futur sont-ce les prémisses ? ». Qu'en est-il de « Pourquoi en est-on ici ? » ou encore « Comment exploiter à notre avantage cette évolution nécessaire ? », « Que peut-on faire pour ou contre ? », « Quelles sont les différentes réactions que l'on va probablement observer ? ». Et le pluriel est important ici : Korben ne parle que de la réaction ovine probable d'une certaine majorité de gens, mais il s'adresse justement à une autre communauté : celle des hackeurs et activistes.
Il énonce ces fait dans le but de faire réagir, mais ne suggère aucune façon de réagir. C'est dommage. Je suis même attristé de voir des phrases comme celles-ci :
On ne pourra pas y échapper. Et je suis certain qu'on fera les mêmes erreurs qu'on a faites avec Facebook, Gmail, le cloud...
Et quitte à être pessimiste quant à nos chances de changer ces choses, autant relativiser les problèmes que cela pose. Je reprends certains exemples qui ne me semblent pas si dramatiques.
Si votre maison consomme trop, peut être serez-vous plus taxé par le gouvernement. Si votre bracelet connecté montre que vous pétez le feu alors que vous êtes en arrêt maladie, peut être que la SECU viendra vous contrôler.
N'est-ce pas une bonne chose que, par l'intermédiaire de « taxes carbone », l'État incite à l'entretien et au renouvellement des infrastructures du pays ? Son application en devient plus aisée car automatisée, mais l'esprit de la loi reste inchangé. Et n'est-il pas important pour la bonne marche de notre cher système de santé de faire la chasse aux abus ? Que l'on défende ou non ce système n'est pas la question, mais l'outil numérique offre un moyen de le rendre plus cohérent vis à vis de son objectif originel.
Là encore, l'article ne pose pas assez de questions. On peut se demander « Comment la fraude va-t-elle évoluer ? », car elle ne va pas disparaître comme ça. Ou encore « Quels sont les risques de mauvais emploi et d'abus de ces outils, que ce soit par les utilisateurs ou par les institutions ? », puis « Comment les éviter ? ».
Et si l'effet wow a si bien fonctionné lors de la présentation de Samsung, c'est qu'il y a tout de même des aspects souhaitables à cet avenir proposé. Une nouvelle question est donc « Comment obtenir ces mêmes aspects souhaitables sans permettre les mauvais usages crains ? ». On peut se demander « Quelle alternative proposer à ceux qui veulent ces outils ? » et donc « À quel besoin répondent ces produits ? »
Reprenons les exemples :
On peut par exemple supposer qu'une assurance santé vous fasse payer un supplément parce que vous ne faites pas assez de sport.
Est-ce que pousser les gens à faire du sport est un mal en soi ? D'autant plus que c'est une action motivée par la volonté d'améliorer la santé des gens, même si cette volonté est, elle, motivée par les considérations purement financières de boîtes privées.
Ou on peut imaginer une assurance auto qui vous fera cracher plus d'argent parce qu'avant d'avoir eu cet accrochage en voiture, vous avez regardé un film super tard la veille ce qui a joué sur votre capacité d'attention ou tout simplement parce que vous conduisez comme une brute.
Encore une fois, si on nous oblige à être assuré pour rouler, c'est justement pour éviter que les gens roulent mal. Le but profond est préventif. Il ne s'agit pas seulement de permettre d'être remboursé en cas de pépin. Donc oui, je suis pour le fait que les gens conduisant comme des brutes paient plus. Après, ils pèsent le pour et le contre et décident de conduire quand même comme des brutes s'ils le veulent, mais je ne vois pas de problème majeur au fait de vouloir influencer le choix vers une conduite calme.
Peut être que si vous restez trop longtemps sous la douche ou que vous laissez la lumière allumée quand vous n'êtes pas là, vous serez classé dans la catégorie des pollueurs-payeurs et vos impôts augmenteront...
Je ne vais pas refaire le même commentaire que pour les citations précédentes…
Plus subtile :
Ou peut être qu'on vous dira "Non, tu restes chez toi et tu prends le bus suivant car ton travail est moins important que celui des autres gens qui eux doivent arriver à l'heure".
Déjà, l'accès aux transports en commun ne peut pas être uniforme. Les lignes sont tracées par rapport à une certaines demande et certains en sont donc isolés. La position géographique est un critère, alors pourquoi pas un autre ? Ok, le risque là est de discriminer par classe sociale, et je trouve ça plus dangereux, quoi que ça reste un avis très personnel, mais ce n'est pas une nécessité.
D'autre part, j'insiste encore une fois sur le fait que les données sont un outil. Recueillir des données ne peut rien interdire. Ce peut être utilisé pour savoir si la personne fait quelque chose d'interdit, mais pas imposer de contrainte physique, ni changer la nature de ce qui est interdit. Donc si on ne pratique pas ce type de discrimination sociale aujourd'hui, il n'y a pas, a priori, de raison pour qu'on le fasse avec des objets connectés.
En fait, ces mauvais exemples desservent la cause d'origine, noyant les bons exemples.
Peut être que si vous acceptez de vous faire couper automatiquement le courant par EDF lors des pics de consommation, vous serez dans le noir mais vous aurez une réduction sur la facture.
Là c'est plus embêtant, et je suppose que c'est une référence au compteur Linky. Mais ce qui est plus embêtant n'a en fait rien à voir avec le fait d'avoir un compteur connecté. C'est la position de contrôle total dans laquelle se situe E(R)DF qui est en cause et la connexion ou non du compteur n'y change rien. Encore une fois, il serait intéressant de parler des possibles alternatives, de ce que la communauté fait de ces faits. Dans ce cas précis, je pense à CitizenWatt, compteur à la réalisation duquel je participe personnellement, mais je suppose que dans les autres cas on peut également trouver des projets allant dans le sens d'une connexion sans pour autant être accompagné par des situations d'égémonie de certains intérêts privés.
En fait, le seul réel danger mis en avant dans l'article est celui du bubbling. Il faut effectivement, je pense, faire attention à conserver une certaine diversité dans les idées auxquelles nous commes confrontés afins de se faire une opinion suffisemment objective et les mécanismes de suggestion automatique ont des effets pervers de ce point de vue. Mais ce n'est pas le fait de suggérer sur la base de données personnelles qui pose problème. C'est plutôt la façon dont sont faite les suggestions. On peut très bien imaginer un algorithme de suggestion dont le but serait justement de présenter de la façon le plus égale possible les différents point de vue, corrigeant automatiquement les tendances naturelles de l'utilisateur au bubbling.
Bref, au mieux, c'est de la démagogie maladroite ; au pire c'est un manque de combativité un peu décevant.
PS : Je ne savais pas ou le mettre, mais je trouve le climat de diabolisation assez systématique des entreprises et de l'État contestable. Je suis bien d'accord : les intérêts financiers et la centralisation, publique ou privée, posent un nombre incalculable de problèmes. Mais ce sont lesdits problèmes qu'il faut signaler, et non une de leurs causes.